Le poids du deuil

Écrire régulièrement, publier une fois par semaine, éventuellement créer une communauté de lectrices qui parlent à cœur ouvert de leur maternité… J’étais pourtant bien partie dans mon aventure d’autrice, animée de principes très simples, clairs et prometteurs. Puis, la femme qui a élevé mes sœurs et moi est décédée, partie sur la pointe des pieds, comme on dit. Mon quotidien de trente ans, une infime parcelle de toute sa mémoire à elle, finalement enfoui, enterré, résigné à un au revoir peu convaincant.

Slow motion. Je n’ai pas pleuré autant que mes sœurs, mais j’ai senti un bouton en mode « ralenti » s’activer dans mon cerveau. Je m’excuse auprès de mes clients pour le temps que je mets à satisfaire leurs demandes. Je peine à rester trop longtemps au téléphone avec mes amis. Je travaille au bureau aussi tard que possible, car je n’ai pas l’énergie de jouer avec les enfants. Je suis incapable d’écrire. Tout est lourd, inutile, languissant. Je sens mon être entier prisonnier d’une pierre incassable, à jamais jeté au point Nemo.

Ma foi est atteinte. J’ai du mal à me lever pour la prière du matin. Je ne révise plus mes leçons d’arabe qui facilitaient ma lecture régulière et fluide du Coran. Et depuis quelques jours, je demande au Bon Dieu de me rassurer par un rêve, que ma tante va bien, de me permettre de tourner la page, comme j’avais réussi à le faire pour Abou Touré. Car chaque nuit, je me pose mille questions, et chaque nuit, je ressasse les jours négligés où je ne pouvais pas deviner que c’était le dernier thieb, le dernier rire aux éclats, la dernière étreinte, le dernier souffle partagé.

« La vie ne suit pas toujours le contour de nos désirs, beauté. » Infernale mais dégrisante vérité que me répétait très souvent mon oncle Abou, et dont j’ai fait un principe de vie à sa mort. De tels principes sont utiles à l’hypersensible, ils vous permettent d’accepter les mauvaises surprises. Quant aux principes moins tristes – discipline, rigueur, régime sain, sport régulier, honnêteté, bonté désintéressée – ces principes-là vous élèvent en forgeur d’une humanité meilleure. Et parce que je m’exhorte à les pratiquer quotidiennement, j’ai la manie de souvent penser qu’ils sont acquis, que je contrôle totalement mes émotions. Je choisis de servir mes principes et non mes caprices et désirs. Mais là, l’amour et le deuil en découlant ont pris le dessus sur tout. Parfois, les principes doivent avoir préséance sur les émotions, on est d’accord, mais il est crucial d’accepter qu’il y ait plus fort qu’eux, il y a celui qui les pratique, l’être humain, dans toute sa complexité, sa vulnérabilité, et qui dégringole, réduit à rien face à l’absence de l’être aimé.

Slow motion.

La nuit dernière, je regardais la photo où ma tante était vêtue d’un grand boubou rouge avant de dormir. Je l’ai vue en songe, vêtue de ce même habit, entrant dans mon bureau :
« Mon Dieu ! » criai-je en courant l’embrasser. « J’ai trop pleuré pour toi, que j’ai pleuré. C’est bien toi ? Dis-moi que ça va. Rassure-moi.

- Alhamdoulilah, me dit-elle. Dieu merci », la tête penchée et les yeux tristes, comme pour exprimer sa peine de nous avoir quittés. Puis, elle me prit dans ses bras et nous restâmes ainsi, longtemps.

Je me réveille. Le mois d’août, grisâtre et fourbe, touche à sa fin… Je reprendrai mon aventure d’écrivain en septembre. Mes principes prévaudront toujours, mais ils seront désormais vêtus de tendresse et d’acceptation de donner libre cours à l’Amour.

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